Les outils modernes d’écriture, censés faciliter le travail, génèrent plus d’aliénation que d’efficacité, sans gain évident de qualité. Il faut savoir se donner des règles pour ne pas en devenir l’esclave.
Avant l’apparition du traitement de texte, on écrivait à la main et on envoyait sa prose “à la frappe”. Une collaboratrice qu’on appelait secrétaire ou dactylo tapait à la machine à longueur de journée. Tap, tap, tap… Corriger était affreusement compliqué. En ces temps reculés où chaque mot pesait son poids de labeur, on s’épargnait les longueurs et les itérations inutiles.
Et puis est arrivée la baguette magique à copier – coller.
Là où il fallait plusieurs “hommes-heures” pour noircir une page dactylographiée, deux clics, soit deux “doigts-secondes”, suffisent. Le mode révision (ou mark up), qui permet à de multiples relecteurs de suggérer des corrections est ensuite venu utilement remplacer le blanc correcteur, et les messageries électroniques les parapheurs.
Le progrès technique est indéniable, mais qu’en est-il du progrès tout court ?
Au rayon des avantages, les rédacteurs ont gagné en autonomie et les secrétaires-dactylos sont devenues des assistantes.
Au rayon des inconvénients, on a l’embarras du choix.
- Perte de concision. La facilité est venue donner des ailes au bavardage creux, aux redites, aux citations sans intérêt. Témoin cette effrayante expression du texte au kilomètre (voulant dire sans mise en page).
- Perte de temps et déqualification. Un nouveau labeur a fait son apparition : celui de gérer l’inflation textuelle générée par les outils mêmes. À coup de copier-coller, de mark up et d’e-mail, rédacteurs et relecteurs produisent collectivement une sorte de monstre absurdement chronophage.
- Perte de distance et de contrôle. Au bout d’un moment, mettons à partir de la 3e version, tout le monde a oublié les intentions de départ : la gestion des corrections et des relectures devient l’objectif même du travail. Quant au sens du texte, advienne que pourra.
Quelques règles aideront à éviter l’aliénation totale.
- Limiter la longueur du texte. Tout le monde sera a priori d’accord là-dessus et il sera plus facile ensuite d’opposer un refus aux ajouts superflus.
- Clarifier les rôles. Les personnes ressources vérifient et complètent l’information mais ne modifient pas le texte. Seules quelques personnes clés sont invitées à proposer des reformulations.
- User modérément du mode révision. Transmettre un document non modifiable (PDF) a généralement pour effet de limiter considérablement les corrections.
- Se limiter à trois versions. La version initiale, une version intermédiaire qui intègre les corrections des relecteurs, et la version finale qui lisse les dernières imperfections. On évitera autant que possible les versions partielles qui invitent à toutes les interprétations.
Fixez des limites à ce que permettent les outils d’écriture et de collaboration, vous n’en serez que plus efficace.