Apple aurait décidé de supprimer le point-virgule de ses claviers. Ce poisson d’avril paru dans lepoint.fr a été repris par Michel Schifres sur son blog de l’Opinion sous le titre Un crime abominable. On veut croire que l’éditorialiste a détecté le canular, délibérément grossier à la source, et ne s’est donc rendu coupable que d’un véniel plagiat de poisson d’avril. Devenue plus crédible sous sa plume, la « nouvelle » s’est répandue en suscitant les protestations que l’on imagine.
Le point-virgule serait pourtant condamné, si l’on en croit le paradoxal article que Jacques Drillon lui consacre dans son Traité de la Ponctuation Française : « Toute pratique littéraire digne de ce nom montre que le point-virgule est indispensable, quoiqu’il semble entaché de défauts qui le condamnent à brève échéance : il est un signe stylistique avant tout, et d’une puissance qui reste modérée […]. Enfin, il semble le signe du classicisme : à soi seul, ce trait suffirait à sa proscription » (on est évidemment au second degré). Plus léger mais aussi sévère, ce passage du film L’Amour est un Crime Parfait, dans lequel le professeur de littérature incarné par Mathieu Amalric repousse les avances appuyées de son élève Sarah Forestier d’un méprisant « Au fait, le point-virgule, on ne l’emploie plus depuis 20 ans ».
Évidemment, ce qui a choqué n’est pas tant la disparition du point virgule que de voir Apple s’arroger un nouveau pouvoir, dans le champ littéraire où il n’aurait rien à faire.
Les geeks ne se sont pas laissé prendre au canular : « Curieux, justement pour toutes les applis dites ouvertes, le point-virgule demeure un important symbole de syntaxe des langages informatiques » commente un lecteur sur lepoint.fr.
Autrement dit, s’il se fait rare en littérature, le point-virgule n’est pas près de déserter les claviers. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir ce signe vénérable renaître et prospérer sous les doigts agiles des développeurs d’applis, un peu (beaucoup) grâce à Apple, finalement.
Jacques Drillon, Traité de la Ponctuation Française © Gallimard 1991